Voici un petit mix des copies de Domitille, Flore et Swanny.
Bon travail !!
Les
contes philosophiques du XVIIIe siècle ont pour but, de même que le genre plus
général de l’apologue, de plaire et d’instruire. Ils ont ainsi pour objectif de
transmettre et d’enseigner une leçon de vis sans rebuter le lecteur. Ils ont
deux enjeux, l’enjeu narratif et éducatif. Les contes philosophiques mettent en
scène le plus souvent des personnages naïfs, étrangers, qui posent un regard
neuf sur la société. Par ailleurs, le conte philosophique est caractéristique
de la pensée des Lumières et il porte donc une critique politique, sociale et religieuse
de la société. Appartenant au mouvement du libertinage de pensée, Voltaire, qui
connut l’exil ou l’emprisonnement en raison de ses écrits, n’hésite pas à
prendre la plume pour critiquer la société ou la religion, afin de placer la
vérité au sommet de ses récits. Son conte Micromégas, écrit en 1752, relate
le voyage d’un habitant de l’étoile Sirius vers la Terre, en passant par
Saturne. L’extrait soumis à notre étude et qui ouvre le conte dresse le
portrait physique et moral du personnage voyageur, Micromégas. En quoi cet
extrait est-il caractéristique d’un incipit de conte philosophique ? Nous
étudierons pour commencer l’aspect comique de cet extrait, lié en partie à son
registre merveilleux, avant de nous pencher sur sa dimension philosophique.
(vous pouviez choisir de faire un plan plus « traditionnel » :
I.
Les caractéristiques du personnage principal
II.
L’action
III.
L’enjeu philosophique et critique)
En premier lieu, afin d’aborder l’enjeu comique du passage, nous allons
étudier la description étonnante, paradoxale et comique qui est faite de
Micromégas.
Tout d’abord, le champ
lexical de la taille et l’énumération de nombres décrivant la hauteur de
Micromégas sont assez surprenants : « huit lieues de haut »
(l.4), « vingt-quatre mille pas géométriques de cinq pieds chacun »
(l.4/5), « cent vingt mille pieds de roi » (l.7/8). Cette succession de
nombres désignant Micromégas et sa planète se poursuit tout au long du premier paragraphe,
ligne 1 à 15 et se conclut sur une antiphrase comique : « Rien n’est
plus simple et plus ordinaire dans la nature. » (l.11/12), qui contraste totalement avec la
taille mirobolante et inhumaine de Micromégas, et les calculs mathématiques précédents
dont la variété des mesures de valeur porte un effet comique. Ces trois
procédés mettent en valeur la taille du personnage éponyme au long de quinze
lignes, comme si cette caractéristique était l’une des plus importantes. En ce
sens, la description du Sirien est surprenante par les choix de valorisation du
narrateur.
Par ailleurs, le portrait
dressé par le narrateur terrien est également paradoxal. En effet, le narrateur
parle de l’habitant de Sirius en des termes très mélioratifs : « honneur »
(l.2), « son excellence » (l.16), « merveilleusement »
(l.40), si bien qu’il nous apparaît comme un véritable seigneur. De plus, le
narrateur utilise aussi des hyperboles pour décrire le voyageur, comme par
exemple à la ligne 16/17 : « tous nos sculpteurs et tous nos peintres
conviendront sans peine » ; il utilise aussi nue antiphrase entre le
premier paragraphe et la ligne 18, « ce qui fait une très jolie proportion »,
alors que Micromégas est totalement disproportionné par rapport aux habitants
de la Terre. Ce manque apparent d’objectivité de la part du narrateur,
vraisemblablement séduit par le Sirien, et qui en dresse un portrait peut-être
trop mélioratif, porte à sourire. Enfin, le nom même du personnage éponyme
forme un oxymore entre « micro », qui signifie minuscule, et « mega »,
qui signifie géant. Cela provoque ainsi un effet comique lorsque le lecteur
découvre le nom du personnage.
Enfin, on retrouve ce
registre comique dans d’autres aspects du portrait de Micromégas. En effet, il
nous est au départ présenté comme un « jeune homme » (l.1/2). Or, au
fur et à mesure du récit, on apprend qu’il a entre 670 et 1470 ans, comme le
prouvent les expressions temporelles « vers les quatre cent cinquante ans »
(l.24/25), « le procès dura deux cent vingt ans » (l.31/32) ou encore
« l’auteur eut ordre de ne pas paraître à la cour de huit cents années »
(l.33). Les deux passages constituent donc une antiphrase, que l’antithèse
entre « quatre cent cinquante ans » et « enfance », ainsi
que la négation restrictive de la ligne 20 (« il n’avait pas encore deux
cent cinquante ans ») viennent renforcer. De plus, la personnification de
l’esprit du personnage principal dans l’expression « par la force de son
esprit » (l.21/22) met en valeur les qualités intellectuelles de
Micromégas. Micromégas est en effet présenté comme un être plein d’esprit. La
répétition du terme aux lignes 2, 22 et 31 le prouve. Cet esprit exceptionnel
est caractérisé par le champ lexical de la connaissance : « cultivés »
(l.19), « sait » l.19), « étudiait » (l.20), « collège »
(l.20), « connaissait » (l.39). Ce portrait moral mélioratif est renforcé par le
superlatif de supériorité « un des plus cultivés » (l.19). Enfin, les
nombreuses références culturelles permettent de situer le niveau de
connaissances du personnage, qui est comparé à « Euclide » ou à « Blaise
Pascal » (l.22).
Ainsi, les deux premiers paragraphes viennent dresser un portrait
amusant du personnage éponyme, à la fois jeune et âgé, et dont les caractéristiques
physiques n’ont rien d’humain. Mais certains aspects de la description du
personnage peuvent être porteurs de messages plus profonds qu’il n’y paraît en
première lecture.
Notre étude va porter à présent sur l’aspect
philosophique de cette ouverture de conte. Pour cela, nous aborderons en
premier lieu la critique faite de la Terre, avant de nous pencher sur la
critique de la cour, et enfin sur la critique de la religion soutenue par le
passage.
Tout
d’abord, le narrateur fait une critique de notre société en évoquant la
petitesse de notre planète. On peut relever la répétition de l’adjectif « petite »
dans l’expression « petite fourmilière » (l.3) et « notre petite
terre » à la ligne 11. De plus, l’utilisation de la première personne
permet au narrateur de comparer le géant à un « nous » représentant
la société terrienne : « nous autres » (l8), « nous »
(l.19 et 39), « notre » (l. 3, 9 et 38). Le narrateur utilise
également des périphrases péjoratives pour parler de la planète Terre, telles
que « notre petite fourmilière » (l.3) ou « notre petit tas de
boue » (l.39). Enfin, les comparaisons de mesures entre la Terre et la
planète du géant viennent mettre en valeur notre petitesse ; nous pouvons
relever « guère que cinq pieds » (l.8) ou ligne 10, « vingt_et_un
millions six cent mille fois plus de circonférence que notre petite terre ».
Ainsi, le narrateur insiste sur la supériorité, ne serait-ce qu’en taille, de
la planète de Sirius par rapport à la Terre.
Par
ailleurs, derrière l’histoire du géant se cache en réalité une critique de la
religion. En effet, la gradation « des propositions suspectes, malsonnantes,
téméraires, hérétiques, sentant l’hérésie » (l.28/29) montre le manque de
jugement du muphti. Par ailleurs, le champ lexical de la justice, « poursuivit »
(l.29), « procès » (l.31), « défendit » (l.31), « condamner »
(l.32) et jurisconsultes » (l.32) vient démontrer les conséquences que
peuvent avoir la simple écriture d’un livre sur les insectes (à comprendre
comme le symbole d’un livre scientifique) lorsque la religion est trop
présente, trop dominatrice et trop autoritaire dans un état. On comprend aussi
que ce procès contre Micromégas est une mascarade, car les juges n’ont même pas
lu l’objet de tant de discordes. La religion apparaît alors comme un frein au
progrès, sans argument valable pour lutter contre la connaissance, mais avec la
seule volonté inexplicable pour l’auteur de rejeter le savoir.
Enfin,
la pensée de Voltaire et sa critique de la société se dégagent également de ce
récit. L’utilisation du présent de vérité générale nous donne l’avis du
philosophe. En effet, l’expression contenant une antithèse « Les Etats […]
ne sont qu’une très faible image des prodigieuses différences que la nature à
mises dans tous les êtres » (l.12/15) nous amène à ne pas juger une
personne par son apparence, puisqu’elle ne la choisit pas mais la reçoit de la
nature, et que la nature propose une diversité infinie de formes. Ensuite, la
périphrase à valeur péjorative « nous autres, sur notre petit tas de boue,
nous ne concevons rien au-delà de nos usages » constitue une critique
virulente des Européens du XVIIIe siècle. Cette affirmation les accuse de ne
pas chercher à se cultiver et d’écraser les autres peuples, dont les coutumes
diffèrent des leurs ou dont la couleur de peau n’est pas semblable. On sent
également une pointe de regret ici une pointe de regret sous la plume de
Voltaire, qui aimerait évoluer dans une société qui ne jugerait pas de bonnes
manières, mais sur des valeurs. Enfin, le lecteur perçoit la critique faite de
la cour du roi dans l’expansion nominale de la ligne 34/35 : « une
cour qui n’était remplie que de tracasseries et de petitesses ». On
comprend bien alors que Micromégas est une sorte de double de l’auteur, qui
comme lui dut quitter la cour en raison d’écrits jugés subversifs, et qui
connut, comme lui, la censure.
Cet
incipit présente donc également un enjeu philosophique, puisqu’il porte plusieurs
critiques de l’auteur envers la société de son époque, et en particulier la
censure que le gouvernement de monarchie absolue exerce, et qui freine l’accès
aux connaissances et au progrès.
Par
le biais de l’argumentation indirecte, ce conte philosophique remplit donc la
double fonction de plaire et d’instruire, et intègre en ce sens ce texte au
genre de l’apologue. Ce récit traduisant la pensée des Lumières n’est pas sans
évoquer L’Ingénu de Voltaire, un autre conte philosophique qui permet à l’auteur
de critiquer sa société.